Victimes du temps et des hommes, les écrits gnostiques ne furent longtemps accessibles qu'à travers les Pères de l'Église acharnés à les combattre. Tout changea en 1945, lorsqu'on découvrit en Égypte, à Nag Hammadi, la traduction copte de 46 traités. L'édition de ces textes, obscurs et souvent mutilés, exigea plusieurs décennies d'effort et de recherches. Ce n'est pas avant 2007 que parut, dans la Bibliothèque de la Pléiade, la première traduction française intégrale de l'ensemble. Polymorphe par essence, le gnosticisme n'a jamais constitué une religion institutionnelle. À l'exposé abstrait, les gnostiques préfèrent le mythe. Leurs rites n'opèrent pas seulement par la forme, mais par la ferveur visionnaire. Leur gnose est le pouvoir de recouvrer la gloire et la science du premier homme rayonnant de la ressemblance divine. La voie qui mène à cette connaissance primordiale passe par la tradition authentique des grands ancêtres, et par l'intuition de chacun, qui permet de les retrouver et de s'indentifier à eux. Exploration de la conscience et quête des livres disparus sont les deux faces indissociables d'une même remontée vers l'être. Se connaître soi-même, c'est aussi bien connaître Dieu et le chemin de l'ascension, inverse de la déchéance ici-bas. Désormais facilement accessibles, les écrits gnostiques peuvent toucher de nouveaux publics. Au-delà des prétendues «hérésies» gnostiques du christianisme antique, la gnose s'est accommodée des milieux historiques les plus variés. Par ses mythes, ses pratiques d'ascèse ou d'extase, elle rejoint d'autres spiritualités orientales, dans le monde indo-iranien, avant et après l'islam. Elle nourrit aussi divers courants ésotériques en Europe, du Moyen-Âge à l'époque contemporaine. La connaissance des mythes gnostiques a influencé la psychanalyse jungienne. Radicalement contestataire, la gnose développe une conception tragique de la condition humaine, comparable à l'existentialisme. Elle y joint une eschatologie, une conception du «Sauveur sauvé», qui n'est pas sans analogie avec la dialectique marxiste de l'histoire. Elle structure jusqu'à nos jours, de Borges à Coelho, tout un courant de littérature, où la remontée de l'âme est évoquée par la métaphore du voyage initiatique. Le rêve d'une connaissance totale et rédemptrice de la destinée humaine continue de hanter l'imagination de nos contemporains.