Cet ouvrage est une monographie du théâtre tibétain ache lhamo,
tel qu'il était joué à l'époque prémoderne, antérieure à 1950, et tel
qu'il est encore joué actuellement en Région autonome du Tibet
(République populaire de Chine) et dans la diaspora tibétaine établie en
Inde et au Népal. Comme la plupart des théâtres d'Asie, il est un genre
composite: à la fois drame à thématique religieuse, issue du bouddhisme
mahâyâna, satire mimée et farce paysanne, il comprend de la
récitation, du chant, des percussions, de la danse et des bouffoneries
improvisées, ainsi qu'un usage de masques et de costumes flamboyants,
qui tranchent avec la sobriété absolue de la mise en scène. Bien qu'il
ait été soutenu et financé par le gouvernement des Dalai Lama, par de
grands monastères et par des familles aristocratiques, il s'agit d'un
théâtre avant tout populaire. Cette recherche, qui combine les approches
de l'anthropologie, de la tibétologie et des études théâtrales, s'appuie
sur des enquêtes de terrain de plus de quatre ans au Tibet et en exil.
L'étude est divisée en trois parties. La première, «Le cadre
culturel du lhamo avant 1959», est consacrée au contexte
(historique, religieux et littéraire) dans lequel le théâtre est
inscrit, ainsi qu'aux textes (leur contenu, leurs modalités de
composition et de transmission) qui révèlent l'imaginaire propre du
théâtre. La deuxième partie est une analyse de «L'ancrage sociologique
du lhamo». Les conditions matérielles des représentations sont
examinées: les divers types de troupes, leur organisation interne, le
statut social des acteurs, l'inscription de la pratique du théâtre dans
le système socio-économique, et les rapports d'obligations tissés entre
acteurs, seigneurs et commanditaires. La dernière partie, «Art et
savoirs des acteurs» rend compte des conceptions, valeurs, plaisirs et
difficultés de ceux qui pratiquent cette forme d'art. La ritualité du
jeu théâtral et les divers registres de virtuosité sont analysés en
détail. L'épilogue fait le point sur la situation contemporaine des deux
côtés de l'Himalaya. Il s'agit fondamentalement d'un théâtre de
paradoxes, qui traverse et relie des aspects contrastés de la culture
tibétaine: bouddhisme et religions mondaines, culture savante et culture
populaire, écriture et oralité, éléments exogènes et apports
autochtones, aspiration religieuse et intérêts matériels.